Plongeurs de l’AIN

DISSONANCE COGNITIVE ET APPRENTISSAGES

dimanche 15 mai 2022 par Chantal
Article de Chantal Bertrand Instructrice Régionale AURA paru dans SUBAQUA mai-juin 2022

Le cerveau est une machine extraordinaire qui reste encore, en partie, mystérieuse.
Nous possédons environ 100 milliard de neurones interconnectés qui nous renseignent sur notre environnement et nous permettent d’enregistrer et de restituer une multitude d’informations à tout moment.

Mais il arrive parfois que le cerveau « déraille » se mette en pause ou en dissonance cognitive qui interfère directement sur les apprentissages.

 Mais qu’est ce que la dissonance cognitive ?...Pour faire simple…

Suite à une modification regrettable avant l’impression de l’article sur la dissonance cognitive paru dans Subaqua de mai-juin 2022, voici le jeu proposé à l’origine pour en comprendre le concept.

Pour le comprendre je vous propose un petit jeu. Énoncez la c o u l e u r des 6 mots (ci-dessous) en 6 secondes…Vous êtes prêts…C’est parti !

Bleu Violet OrangeRouge Vert Jaune
Compliqué ?... C’est ça la dissonance cognitive !





La difficulté pour le cerveau d’interpréter deux informations discordantes entre elles.

Ce petit exercice demande, pour la plupart des personnes, un effort de concentration intense.
Mais la dissonance c’est également l’impossibilité pour un individu de changer ses certitudes ou ses convictions face à la réalité ou à des idées différentes.

En pédagogie, modifier des savoirs, routiniers et bien ancrés, pour accepter l’acquisition de nouvelles connaissances peut s’avérer difficile à intégrer.

Peu répandue chez les plongeurs, cette « résistance intellectuelle » se retrouve fréquemment chez les cadres en formation E1, E2, E3 et E4 lorsque nous remettons en cause leurs compétences, leurs comportements ou leurs actions.

Apparait alors immanquablement une phase de rejet ou de déni.

 Elle se manifeste de plusieurs manières :

a) C’est le fameux « OUI MAIS… » Où il faut entendre « NON » .

  • Exemple avec l’épreuve du MANNEQUIN INITIATEUR OU GP…
    Discussion avec un stagiaire MF1 :

    Moniteur : comment envisages tu de travailler cette épreuve ?

    Stagiaire MF1 : Je vais commencer par des distances plus courtes 25 ou 50 m de nage enchainé par seulement 10’’ d’apnée puis 25 m de remorquage et j’augmenterai les distances et le temps d’apnée.
    Moniteur : Faire l’épreuve dans sa totalité va probablement être difficile pour le plongeur comme d’ailleurs imposer un temps d’apnée
    Stagiaire MF1 : OUI… MAIS je réduis les distances et le temps !
    Moniteur : Peux tu envisager de séquencer l’épreuve pour optimiser son apprentissage ?
    Stagiaire MF1 : OUI…. MAIS le plongeur n’aura plus une vue d’ensemble de l’épreuve.
    Moniteur : Le plongeur connait l’épreuve présentée dans le MFT…. Peux-tu concevoir un enseignement avec des phases unitaires que tu associeras ensuite ?
    Stagiaire MF1 : OUI…. MAIS je veux qu’il travaille sur l’ensemble de l’épreuve pour chronométrer sa performance.
    Moniteur : Pendant les premières séances d’initiation il n’est pas nécessaire de chronométrer l’épreuve.
    Stagiaire MF1 : OUI…MAIS le plongeur ne connaitra pas son temps pour l’améliorer.
    Moniteur : apprentissage et performance…Fais tu une différence ?

    En dissonance cognitive le stagiaire ne peut remettre en cause sa méthode et réorganiser sa réflexion pour envisager une nouvelle stratégie pédagogique plus aboutie.
    Un important travail d’argumentation et/ou de démonstration devra être réalisé par le moniteur pour contourner la « résistance intellectuelle » du stagiaire.

b) C’est une remédiation non prise en compte durant une séance pratique ou théorique….

« J’entends ou je vois mais je ne suis pas en mesure d’accepter tes remarques »… car son système de pensée résiste et s’oppose à l’assimilation des modifications.

  • Exemple avec l’épreuve d’IPD : (Intervention sur un Plongeur en Difficulté) pour des niveaux « d’autonomie » (PA20 PA40 – PA60 et MF1)
    Durant toute la remontée, le plongeur qui intervient emploie uniquement sa purge dite lente.
    Explications du moniteur sur l’utilisation de la purge « rapide » qui peut s’avérer utile sur une situation évolutive (voir MFT).
    Nouvelle tentative : L’apprenant se sert toujours préférentiellement de sa purge « lente ». Son choix reste influencé par ses apprentissages antérieurs et par une gestuelle automatisée finalement plus intuitive…. Le nouveau « savoir faire » se heurte à l’ancienne pratique.

c) C’est un travail de xx groupes avec autant de présentations sur lesquelles des apports stratégiques ou complémentaires sont faits qui pourraient être réutilisés par le groupe suivant et qui ne le sont pas….

La conception collective de cette séance s’est faite sur la base de discussions, de réflexions et de compromis qui a donc demandé un « effort intellectuel » peut-être important, que les stagiaires ne peuvent remettre en cause et modifier instantanément.

d) C’est une tactique de diversion verbale ou comportementale

lorsqu’un stagiaire (ou apprenant) ne parvient pas à développer une argumentation ou à répondre sur l’instant à une question.

e) C’est un « biais de confirmation » développé par l’apprenant qui refuse d’entendre tout argument qui ne valide pas ses propres idées et actions.

  • Exemple avec la THEORIE GP
    L’articulation des cours présente quelques contresens notamment sur les échanges gazeux.
    Discussion avec le stagiaire qui a conçu le planning :

    Moniteur : Ne serait-il pas plus pertinent de voir la circulation avant les échanges gazeux ?
    Stagiaire MF1 : j’ai décidé de suivre le trajet de l’air soit 1) ventilation 2) échanges 3) circulation.
    Moniteur : utiliser un fil conducteur est une bonne idée mais dans ce cas on se retrouve avec une incohérence pédagogique qui ne facilitera pas la continuité des informations et la compréhension des plongeurs sur le passage de l’air entre les alvéoles et les capillaires ainsi que le transport des différents gaz dans le sang.
    Stagiaire MF1 : pour moi ce fil conducteur est logique……
    Moniteur : De plus tu demandes aux préparant GP de lire un support qui lui, présente dans l’ordre la circulation, la ventilation puis les échanges…. Ils vont devoir rechercher les informations et reconstituer le cours…. N’est-ce pas une difficulté supplémentaire pour les futurs GP ?
    Stagiaire MF1 : NON !

Enfermé dans ses convictions et son choix didactique, l’apprenant ne peut accepter les arguments présentés pour modifier cette incohérence pédagogique.
Dans ce cas le moniteur a plusieurs choix :

  • Laisser faire le stagiaire qui, éventuellement, se rendra compte de son erreur.
  • Faire appel à sa réflexion pour modifier sa stratégie.
  • ou enfin imposer sa propre conception du planning.

 Pourquoi un apprenant se heurte-t-il ainsi à l’assimilation de nouvelles compétences ?

L’être humain est ainsi fait. Tout bouleversement dans ses habitudes crée une zone d’inconfort et de tension intellectuelle plus ou moins importante.

La peur du changement, de l’inconnu, de l’échec, toutes ces émotions n’incitent pas l’apprenant à sortir de sa zone de confort stable voire automatisée.

Or, l’objectif d’une formation, notamment de cadre est d’apporter et de développer des connaissances, des compétences, des méthodes…..En vue d’enrichir une démarche pédagogique déjà existante en bousculant des acquis parfois en place depuis plusieurs années.

 Comment faire pour réduire cette dissonance ?

La tentation d’imposer directement un point de vue est inappropriée.

La réduction de cette dissonance peut prendre plusieurs formes :

  • Par le dialogue pour amener l’apprenant à une réflexion personnelle pour influer sur sa pensée et/ou son attitude.
  • Par une argumentation et une reformulation de l’information pour modifier un élément discordant.
  • En laissant le temps à l’apprenant pour réévaluer ses convictions (Parfois très long).
  • Par une démonstration, mettant directement l’apprenant face à une situation qui nécessitera de revoir le ou les points dissonants (gestuelle – comportement – discours…).

De plus cette dissonance cognitive impacte la mémorisation des apprentissages car elle dépend étroitement de la mémoire épisodique, celle des souvenirs et du vécu et donc de nos choix et de nos actions passés archivés dans notre mémoire à long terme…..Encore une difficulté à surmonter !

SCHÉMA DU PROCESSUS DU CHANGEMENT
  • ANCIENS ACQUIS : compétences initiales de l’apprenant
  • CONFRONTATION : l’apprenant est bousculé voire heurté par les éléments pédagogiques apportés par le formateur
  • RÉSISTANCE : L’apprenant s’oppose aux nouvelles informations
  • IDÉE D’ACCEPTATION : phase de réflexion pour assimiler les nouvelles connaissances
  • INTÉGRATION : L’apprenant reconnait l’intérêt des modifications et les utilise
  • NOUVEAUX ACQUIS : l’apprenant adapte sa démarche pédagogique
Chantal Bertrand


 Que pouvons-nous en conclure ?

  • Que le formateur peut être confronté à la dissonance cognitive d’un apprenant dans la plupart de ses interventions.
  • Que de repenser sa stratégie pédagogique contribuera à réduire la source d’anxiété et d’inertie dans les apprentissages des apprenants.
  • Que le temps nécessaire pour une formation dépend également du temps passé à réduire cette dissonance pour parvenir à une « consonance positive » de l’apprenant.
  • Et enfin, que nous pouvons tous, à un moment ou à un autre, être en dissonance cognitive…le savoir nous permet de l’atténuer !

Pour information : La théorie de la dissonance cognitive a été élaborée aux États-Unis en 1957 par Léon FESTINGER professeur en psychologie sociale.

Chantal BERTRAND
IFR AURA


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